Newsletter du 2022-12-01

 
  Bonjour à tous

Il y a peu, on m'a demandé l'avis sur l’initiative parlementaire des verts qui demandent une mise en valeur des microfermes.  : https://vert-e-s-vd.ch/blog/interventions-parlementaires/developpement-des-micros-fermes-le-parcours-du-combattant

Je me suis donc dit que cela ferait un bon sujet pour un mail (et me suis ensuite aperçue que le sujet était trop vaste, mais allons y pour quelques points...). Les micro-fermes constituent-elles le trend du moment ou est-ce un modèle alternatif appelé à se multiplier, voire à se généraliser ?

Un constat s'impose : de plus de plus d’agriculteurs cessent leur activité et de moins en moins de fils et filles d'agriculteurs veulent reprendre l'exploitation de leurs parents, jugeant le métier trop dur et dévalorisé. Les problèmes de la ferme ont pris trop de place à la table familiale de leur enfance, alors que les copains partaient en vacances dans des destinations exotiques, pour eux l'été était la saison des récoltes (et là on a même pas encore parlé des vaches qu'il faut traire 2 fois par jour, 365 jours par an, y compris à noel & nouvel an), malgré cet investissement personnel conséquent l'argent ne coulait pas à flots et il faut bien reconnaître que statut social d'enfant de paysan engendre généralement plus de railleries que de jalousie à l'école.

De l'autre côté, il y ceux qu'on a appelé les « néoruraux ». Ils ne sont pas issus de familles paysannes, ont souvent suivi une formation d'un bon niveau, occupent(occupaient) des postes bien notés sur l'échelle sociale (basée sur le revenu). On aurait tendance à dire qu'ils ont « bien réussi ». Et pourtant...
Ils se sentent en contradiction avec les valeurs morales de leur profession, voire notre société toute entière, ils se sentent prisonniers dans un bureau, ne trouvent pas de sens à leur job. Ils ont commencé à analyser le fonctionnement de notre système et une fois qu'on se lance sur cette piste, on ne peut qu'en constater les nombreux défauts. Plus on sort du système, plus on l'observe de l'extérieur, plus ses failles deviennent clivantes et difficiles à accepter. L'argent et le pouvoir d'achat se sont plus un substitut suffisant à de « vraies valeurs ». On a soif de concret, besoin de se reconnecter à la terre nourricière, être en accord avec notre conscience. Petit à petit le besoin d'autre chose, le désir de remplacer la fatigue nerveuse par une fatigue physique plus saine, de revenir à une vie plus simple, dans laquelle l'argent n'occupera plus une place centrale finissent par s'imposer.

Il suffit de lire un article sur les micro-fermes (là, la graine est semée), faire quelques recherches sur internet qui aboutissent immanquablement à l'étude de la ferme du bec Hellouin qui conclut par le fait qu'il est possible de dégager un chiffre d'affaire de 50'000 Euros sur une parcelle de seulement 1000 m2 grâce à la permaculture et le « bio-intensif ». (la graine est arrosée). Quelques lectures « rituelles » de Fukuoka, Miller, Fortier, etc sont englouties et un nouveau projet de vie prend forme (là, la graine a germé.. que va-t-elle donner ?).

Le papillon vient de sortir du cocon, la motivation est à son comble, rien ne semble impossible dans cette nouvelle vie. Tout apparaît comme logique, magnifique et limpide.
Il faut donc juste un lopin de terre, une grelinette, une binette, cracher dans les mains et remonter les manches. Quand on veut, on peut !

A ce stade, peu de personnes ont réalisé à quel point les visions qu'ils ont dans leur têtes sont en réalité passé par des filtres marketing presque identiques à ceux omniprésents dans la société de compensation qu'ils rejettent.
L'image populaire, toujours bien présente, qu'il n'y a vraiment pas besoin d'un intellect brillant pour devenir paysan amènent à largement sous-estimer la difficulté du projet. Or l'expérience de la micro-ferme en permaculture et bio-intensif sans expérience en maraîchage bio au préalable.. c'est un peu comme vouloir gravir une montagne sans guide, sans réelle expérience (avoir lu « L'alpinisme à la portée de tous » ne transforme personne en montagnard aguerri..), ..et de plus pieds nus. Au final, tout comme l'alpiniste l'agriculteur est aussi tributaire de la météo et d'un certain facteur chance sur lesquels nous avons peu d'emprise.
La réussite n'est de loin pas impossible, mais y parvenir demandera des compétences et une persévérance bien au dessus de la moyenne. Ceux qui pensent tourner le dos à un métier trop intellectuel ne se rendent pas toujours compte que ce nouveau projet ne demandera pas que leur engagement physique à 100% mais que le moment est venu de mobiliser plus que jamais toute leur capacité d'analyse et probablement tout un tas de compétences acquises dans le système auquel ils veulent justement tourner le dos.

Dans la situation actuelle (sans bonne formation, ni expérience initiale), je serais tentée de dire qu'au bas mot 9 projets sur 10 seront hélas voués à l’échec (majoritairement en raison de la sous-estimation des difficultés). Cela peut paraître pessimiste, mais si j'en juge selon nos tentatives d'engager des personnes sans expérience agricole en pensant que leur motivation, leur intelligence et leur bonne volonté suffiront, le taux de « changement d'avis après moins d'une année » rendrait cette estimation quasi optimiste. (je tâcherai de constituer un petit récapitulatif sur ce sujet dans un prochain mail...)
Cela est d'autant plus dommage qu'il y a une vraie motivation, un désir de changer les choses et que l'objectif n'est pas impossible à atteindre : Une petite ferme en maraîchage bio et vente directe bien gérée peut être bien plus viable qu'une grande exploitation.


Revenons aux différents problèmes. L'absence de formations (officielles). C'est un constat qu'on ne peut pas nier ! Bien qu'il existe diverses filières de formations agricoles, elles ne correspondent pas aux attentes de ces nouveaux agriculteurs dont la quête dépasse largement celle de la simple reconversion professionnelle... cependant, je comprends aussi que l'Etat ne se dépêche pas de mettre une telle formation sur les rails  vu le nombre élevé de projets qui se terminent par un échec.. (C'est évidemment le serpent qui se mord la queue.. mais le problème est plus complexe que cela)
Une telle formation se devrait hélas aussi de détruire quelques clichés afin de remettre les pieds sur terre de ceux qui ont justement le projet de la cultiver... mission qui pourrait bien être mal perçue et décriée par ces mêmes personnes. Donc, avant une formation, il faudrait pouvoir proposer une opportunité de confronter le rêve à la réalité en conditions un peu encadrées.
Quelques formations privées ont vu le jour depuis peu : affaire à suivre.

Deuxième point : l'accès à la terre et le droit de la cultiver.
Pour avoir le droit de conduire une voiture, il faut un permis et pour avoir le droit de cultiver la terre, il faut une formation agricole. Un tel papier donnera le droit d'exploiter la zone agricole et conférera aussi certains avantages comme le droit aux paiements directs, celui de demander des permis de construire dans cette zone, chose impossible pour toute autre personne...
Le droit à la terre passera donc par une formation qui parait généralement peu adaptée aux projets de microfermes. Faudrait-il que cela soit différent ?
A nouveau, c'est un problème à double tranchant : faciliter l'accès aux droits sus-mentionnés, notamment la possibilité de construire en zone agricole, risque de mener à d'autres abus.

L'impossibilité de trouver du terrain en son nom propre (sans formation) oblige dans un premier temps à se tourner vers d'autres structures existantes et essayer de trouver un emploi ou une parcelle de terrain qu'un agriculteur (bio) veut bien mettre à disposition (chose qui ne devrait pas être si difficile). Certes, on est pas forcément « chez soi » et on ne bénéficiera pas des paiements directs, ni de la possibilité de construire.. mais cela permet un essai en conditions réelles, tou en bénéficiant, dans le cas idéal, d'un peu de coaching par l'exploitant officiel. Celui qui persévère dans ces conditions pourra au final négocier l'obtention d'un droit à la terre.
C'est plus difficile, mais l'un dans l'autre, on peut se demander si ce garde-fou n'impose pas un filtre finalement positif ?


Et les autres formes juridiques : comme des coopératives, collectifs, associations ?
Les définitions ne sont pas toujours claires, mais je pense que ces pistes sont à suivre. N'oublions pas que traditionnellement le ferme est basée sur un modèle d'exploitation multi-générationnel (2 voire 3 générations actives). Cela permet de partager les responsabilités et se reposer au moins occasionnellement sur une aide indispensable.
Qui se lance dans l'agriculture en tant que première génération ne bénéficie pas de cette structure et risque se retrouver seul à porter beaucoup de responsabilités et de pression (à mon avis, une des premières raison d'échec de projets agricoles « néoruraux ») . On peut engager des employés, mais difficile d'en faire de vrais partenaires (même s'ils ont l'avantage par rapport à la famille de ne pas apporter leur grain de sel).

Non qu'il y aurait encore beaucoup à dire.. il est temps de passer à du concret : le panier de la semaine